Créée en 1998 par l’Administration Clinton pour assurer la « privatisation » de la gouvernance de l’internet jusqu’alors assumée par les universités et centres de recherches américains, l’ICANN est un organisme dont le sigle est en général familier à ceux qui travaillent autour des noms de domaine.
Pour autant, sa philosophie, ses missions précises et son organisation restent assez méconnues. Nous nous proposons dans cette série de publications de lever un coin du voile et peut-être d’aider nos lecteurs à mieux interagir avec l’ICANN.
Les Supporting Organizations sont au nombre de trois et élisent chacune deux membres au Board de l’ICANN, soit au total 6 sur 20. Elles ont vocation à porter les contributions et représenter les intérêts de trois groupes distincts :
- Les gestionnaires des adresses IP, ou RIRs pour « Registres IP régionaux », au travers de l’ASO (Address Supporting Organization)
- Les registres d’extensions génériques, regroupés dans la GNSO (Generic Names Supporting Organization)
- Les registres de ccTLDs, regroupés au sein de la ccNSO (Country Code Names Supporting Organization)
Nous allons étudier en détail les missions et la structuration de chacune de ces Supporting Organizations, en dédiant ce troisième billet à la ccNSO.
La ccNSO et ses missions
La ccNSO (Country Code Names Supporting Organization) est destinée à accueillir les registres de ccTLDs au sein de l’ICANN. Son statut est formellement le même que celui de l’ASO et de la GNSO, mais la nature des relations entre l’ICANN et les registres de ccTLDs induit là aussi certaines subtilités.
Tandis que les membres de l’ASO sont indépendants de l’ICANN, qui ne leur a pas conféré leurs fonctions et qui ne peut pas leur retirer, les membres de la GNSO, au moins pour la partie « CPH », sont contractuellement liés à l’organisation californienne qui leur a délégué leurs TLDs ou qui les a accrédités en tant que registrars. Dans des cas extrêmes de manquements aux obligations contractuelles, l’ICANN a le pouvoir juridique de leur retirer leurs TLDs ou leur accréditation.
Les registres de ccTLDs se situent entre les deux. Ils dépendent de l’ICANN au point de vue technique, au travers de sa mission de gestionnaire de l’IANA (Internet Assigned Numbers Authority) sur laquelle nous reviendrons dans un autre article. Mais l’ICANN ne leur a pas délégué leurs ccTLDs (la plupart les ont obtenus avant sa création) et ne pourrait les leur retirer sans l’accord du gouvernement souverain sur le territoire concerné.
Ainsi, la ccNSO joue plutôt le rôle de plate-forme d’échanges et de discussions entre registres de ccTLDs, tout en permettant à ceux-ci de faire entendre leur voix dans les débats d’ordre plus général. Mais les politiques décidées par l’ICANN en termes de processus, de niveaux de qualité de service, de gestion des données WHOIS etc. ne sont pas « contraignantes » pour les membres de la ccNSO comme elles le sont pour ceux de la CPH de la GNSO.
Les missions de la ccNSO telles que présentées sur le site de celle-ci reflètent cette situation :
- La ccNSO fournit une plateforme pour favoriser l’émergence de consensus, la coopération technique et le renforcement des compétences parmi les ccTLDs et faciliter le développement volontaire de bonnes pratiques par les gestionnaires de ccTLDs.
- Elle est également chargée d’élaborer et de recommander des politiques mondiales au Conseil d’administration de l’ICANN pour un périmètre limité de questions relatives aux ccTLDs, telles que l’introduction de ccTLDs de noms de domaine internationalisés (IDN ccTLDs).
Les registres de ccTLDs n’ont donc pas voix au chapitre sur les sujets concernant les gTLDs, ce qui peut s’avérer problématique quand l’ICANN s’efforce d’imposer aux ccTLDs des « bonnes pratiques » issues de décisions prises au sein de la gNSO sans que les ccTLDs aient pu participer aux discussions. Le cloisonnement des parties prenantes par natures ou « homogénéité d’intérêts » (ce qui reste à prouver) fait sens, mais il peut aussi montrer ses limites.
La ccNSO et son organisation
Les activités de la ccNSO sont principalement organisées à travers des groupes de travail et des comités, tels que le Comité permanent de la planification stratégique et opérationnelle (SOPC) ou le Groupe de travail technique.
La ccNSO est elle aussi pilotée par un Conseil, le ccNSO Council, qui comprend 18 membres dont 15 élus par les membres de la ccNSO et 3 nommés par le Nominating Committee de l’ICANN.
Les 15 membres élus le sont à raison de trois par région ICANN. Le Conseil de la ccNSO a donc la physionomie suivante :
Membres votants | Nombre de sièges | % votes |
Afrique | 3 | 17% |
Amérique du Nord | 3 | 17% |
Amérique latine et Caraïbes | 3 | 17% |
Asie-Pacifique | 3 | 17% |
Europe | 3 | 17% |
Nommés par le Nominating Committee | 3 | 17% |
Total Conseil de la ccNSO | 18 |
On note que les cinq régions ICANN sont représentées de manière équilibrée en termes de droits de vote, alors qu’elles sont en réalité loin d’avoir le même poids en termes de nombre de ccTLDs comme en termes de noms de domaine déposés. Ces régions ICANN ont d’ailleurs des physionomies bien différentes de la géographie traditionnelle, puisque les ccTLDs sont rattachés à la région du pays qui contrôle le territoire auquel ils correspondent. Ainsi, le .pm (Saint-Pierre-et-Miquelon) est-il rattaché à la région Europe (au lieu de l’Amérique du Nord) de même que le .ky (Iles Caïmans), etc.
La répartition des ccTLDs en régions ICANN telles que définies lors de la mise à jour du 15 janvier 2021 donne la répartition suivante :
Nombre de ccTLD | % | Écart/Droits vote | |
Afrique | 55 | 22% | – 5 |
Amérique du Nord | 8 | 3% | + 14 |
Amérique latine et Caraïbes | 37 | 15% | + 2 |
Asie-Pacifique | 73 | 29% | – 12 |
Europe | 77 | 31% | – 14 |
Total | 250 |
On constate que le poids des régions en termes de droits de vote (17% chacune) ne correspond pas à leur poids en termes de ccTLDs, et que la région Amérique du Nord est la grande gagnante (+ 14 points d’écart) tandis que les régions Europe (- 14 pts) et Asie-Pacifique (-12 pts) sont les grandes perdantes.
Ce biais est encore plus sensible si l’on considère le poids des régions en termes de noms de domaine déposés :
Nombre de noms de domaine (M) | % | Écart/Droits vote | |
Afrique | 3 | 2% | + 15 |
Amérique du nord | 5 | 4% | + 13 |
Amérique latine et Caraïbes | 12 | 9% | + 8 |
Asie-Pacifique | 30 | 24% | – 7 |
Europe | 75 | 60% | – 43 |
Total | 124 |
En suivant cet axe d’analyse, l’Europe est clairement lésée tandis que l’Afrique et l’Amérique du Nord sont les grandes gagnantes.
Cet exemple montre combien la gouvernance de l’ICANN peut parfois être biaisée par une volonté affichée « d’égalité » qui ne correspond pas à la réalité du terrain. Ici, le biais est double : affectation des ccTLDs selon des critères politiques et non géographiques, et répartition des voix au sein de la ccNSO avantageant particulièrement l’Amérique du Nord.
A cela s’ajoute aussi l’impact éventuel des régions d’origine des membres nommés par le Nominating Committee. Au moment de la rédaction de cet article (mars 2022), deux de ces membres étaient Européens et le troisième Portoricain (Amérique du Nord).
Nous aborderons justement dans notre prochain article le Nominating Committee, qui joue un rôle déterminant dans la gouvernance de l’ICANN.
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