Au coeur de l’été, j’ai eu le privilège d’être auditionné par le Conseil d’Etat, qui prépare son futur rapport annuel sur un thème alléchant « les technologies numériques et les libertés et droits fondamentaux« .
Le thème nous est familier à l’Afnic puisque le conseil constitutionnel lui-même nous avait rappelé, non sans créer un certain émoi d’ailleurs, que
« en l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services dans la vie économique et sociale, notamment pour ceux qui exercent leur activité en ligne, l’encadrement, tant pour les particuliers que pour les entreprises, du choix et de l’usage des noms de domaine sur internet affecte les droits de la propriété intellectuelle, la liberté de communication et la liberté d’entreprendre ; «
Se rendre dans les locaux du Conseil d’État est toujours un moment spécial. Les locaux du Palais-Royal sont vraiment parfaitement représentatifs de l’expression « les ors de la République ». Pour moi, qui ai eu à m’y rendre dans mes fonctions passées à plusieurs reprises, passer devant les salles de section ravive ce stress du fonctionnaire qui se demande dans quel état son dossier, son projet de décret, ressortira de l’ouragan de jurisprudences et de hautes analyses juridiques auquel il va être confronté.
Mais j’étais cette fois chaleureusement reçu dans une salle de réunion confortable, consacrée à la carrière éminente de Léon Blum et, détail important en cette période : climatisée.
Code Is Law
J’ai pu y développer quelques idées qui me paraissent importantes et, je l’espère, apporter un peu de concret dans des réflexions juridiques qui parfois ont tendance à s’en éloigner très nettement. J’ai d’ailleurs insisté tout au long de l’entretien sur le fameux « Code is Law » de Lawrence Lessig : dans le numérique encore plus qu’ailleurs, la mise en œuvre concrète (le code) crée les règles de droit ou de principe. La réflexion classique sur les principes du droit, que la technique devrait ensuite mettre en œuvre (« implémenter ») n’est pas adaptée.
Je ne suis pas allé jusqu’à reprendre l’un des crédos classiques de l’IETF : » We reject kings, presidents and voting. We believe in rough consensus and running code« . J’aurais pourtant pu mettre le T-shirt IETF 83 à Paris pour appuyer le message, encore une occasion ratée !
La multiplicité des droits applicables
La seconde idée que j’ai cherché à défendre est liée à la multiplicité des droits qui sont applicables sur Internet du fait :
- de la multiplicité des intermédiaires techniques (l’hébergeur, le FAI, le bureau d’enregistrement, l’office d’enregistrement, le fournisseur de solution de paiement, etc.), tous soumis à des juridictions pouvant être différentes
- des implantations à la fois légales et techniques de chacun de ces acteurs sur plusieurs territoires.
Ainsi, les saisines régulières de noms de domaine par les Douanes américaines nous rappellent qu’un nom de domaine en .com (voir Operations in our Sites), du fait de l’établissement du registre Verisign dans l’État de Virginie, expose à une décision judiciaire de cet État.
Et alors que Megaupload n’était pas une organisation juridiquement basée aux États-Unis, le fait que ses contenus soient hébergés là aussi en Virginie a suffi à rendre le service inopérant.
L’Internet est donc une zone de « droits multiples », et ce phénomène doit être pris en compte tant par les citoyens et entreprises que par les régulateurs et législateurs.
Le Conseil d’État à l’heure du numérique
J’ai également pu rappeler quelques idées sur la neutralité du Net ou la protection des données personnelles mais cet article est déjà assez long. En revanche, il est intéressant de voir à quel point l’élaboration même de ce rapport sera influencée, ou pas, par la culture du numérique, par les nouveaux modes de travail que permet l’Internet.
Malgré le cadre apparemment très protégé des remous de nos sociétés ultra-connectées qu’est celui du Palais Royal (tiens, j’ai pas testé le Wifi !), les animateurs des travaux sur ce (futur) rapport annuel semblaient effectivement réfléchir au moyen d’ouvrir quelque peu à la communauté le processus d’écriture du rapport. Je n’ai même pas eu à poser la question. Bon, on sera encore loin de la conception par la multitude chère à Henri Verdier et Nicolas Colin mais l’effort est à saluer !
J’espère que ce rapport annuel du Conseil d’État contribuera à clarifier, au bénéfice de chacun en France, un cadre juridique complexe et parfois difficilement applicable. Nous le saurons d’ici un an environ !