A l’occasion de la 8ème réunion du Forum de la Gouvernance de l’Internet (FGI) qui vient de se terminer à Bali (Indonésie) de nombreuses réunions, planifiées ou non, ont porté sur les rôles des différents acteurs dans le cadre d’une gouvernance multi-acteurs (multistakeholder) de l’Internet.
Trois évènements importants sont en effet venus donner de la chair à ce forum, dont l’objet même est de traiter de l’évolution de la gouvernance de l’Internet :
- les révélations du rôle de la NSA par Snowden,
- les réactions de la Présidente du Brésil, à ses révélations, enfin,
- la publication de la Déclaration de Montevideo appelant à mettre en place une coalition multi-acteurs pour la gouvernance de l’Internet.
Le premier événement remet en cause de façon plus aigue et plus essentielle la place du gouvernement américain dans le dispositif de gestion et de gouvernance de l’Internet. Il rend aussi plus urgent la recherche d’une (ou de plusieurs) solutions de remplacement [1].
Les 10 organisations (I* soient les 5 RIR – Afrinic, Arin, Apnic, Lacnic , RIPE NCC – Internet Architecture Board, ICANN, IETF, Internet Society Monde et W3C) qui gèrent au jour le jour les aspects techniques du fonctionnement de l’Internet, ont publié une déclaration commune à l’occasion de la réunion début octobre de leurs responsables à Montevideo [2]. Dans un des points, « Ils ont identifié la nécessité d’efforts continus pour relever les défis de la gouvernance de l’Internet, et ont convenu de catalyser les efforts à l’échelle communautaire à l’égard de l’évolution de la coopération multipartite mondiale d’Internet. »
La Présidente du Brésil à quant à elle d’abord appelé devant l’Assemblée générale des Nations-Unies à la mise en place d’une solution multilatérale (c’est à dire au niveau uniquement des gouvernements et/ou de leurs organisations internationales intergouvernementales).
Suite à la Déclaration de Montevideo, le PDG de l’ICANN Fadi Chehadé a eu une entrevue avec la Présidente Dilma Rousseff à Brasilia, qui a débouché sur une proposition brésilienne d’organisation d’un« sommet » pour faire le point sur l’ensemble des questions touchant la Gouvernance de l’Internet et réunissant des représentants de l’ensemble des parties prenantes du maximum de pays du Monde, début mai 2014 [3].
L’objectif de ce « sommet » n’est pas de trouver des solutions à chacun des problèmes qui touchent l’Internet mais de mettre en place un cadre ouvert et multi-acteurs permettant ensuite de chercher des solutions. En d’autres termes de développer un nouveau modèle pour la Gouvernance de l’Internet.
La place des Etats-Unis dans la gouvernance d’Internet, la Déclaration de Montevideo et le projet de Sommet au Brésil ont donc été au centre de nombreux échanges à Bali.
Le groupe des I* a organisé, pendant le FGI à Bali, différentes réunions d’information et d’échanges, élargies à d’autres acteurs du monde de l’Internet. Des participants du secteur privé, de la société civile, des gouvernements ainsi que des ccTLDs (y compris l’AFNIC, que j’ai représenté lors de ces discussions) ont ainsi pu dialoguer avec les responsables d’I*.
L’objectif est de mettre en place une « coalition » des principaux leaders et acteurs de l’Internet pour rechercher des réponses permettant de mettre en place des solutions réellement multi-acteurs sur chacune et sur l’ensemble des questions qui se posent dans le cadre de la gouvernance de l’Internet. Cette « coalition » permettra aussi de préparer la réunion du Brésil qui devrait être co-organisée par plusieurs pays, de lancer une campagne d’information, de participation et de mobilisation de tous au niveau mondial…
A l’occasion de ces réunions, différents intervenants ont insisté sur les points suivants que je tente de résumer ici.
Depuis le WCIT [4] et les événements de ces dernières semaines, la « coalition des bonnes volontés » dont l’objectif affiché était de protéger le modèle multipartite de Gouvernance de l’Internet, avec le gouvernement américain comme acteur majeur, a été affaiblie et elle n’a pas de solution alternative à proposer.
A tel point qu’il y a aujourd’hui un risque réel que la Gouvernance de l’Internet tombe sous le contrôle (unique) d’organisations intergouvernementales qui ne feraient pas de place aux acteurs de la société civile et du secteur privé.
Un certain nombre de sujets relatifs à la gouvernance de l’Internet n’ont pas de cadre pour être traités, du moins pas de cadre accepté par tous. Plusieurs de ces sujets ont été évoqués, comme par exemple le spam, la défense des enfants et des jeunes contre la pornographie en ligne, l’usage des données collectées…
Il est temps de travailler à une alternative, à la fois à une gouvernance multi-acteurs qui donne un poids trop important à un seul état (les US) et à une solution purement onusienne qui exclurait de fait les acteurs non gouvernementaux qui sont aux fondements du fonctionnement de l’Internet.
Les 18 à 24 prochains mois seront cruciaux pour la défense d’un modèle réellement multi-acteurs, et pour sortir de la bataille d’influence que se livrent les états entre eux sur le contrôle des ressources critiques de l’Internet.
Jusqu’à présent les I* organisaient des rencontres de leurs dirigeants qui discutaient des sujets chauds du moment et ensuite les possibles actions étaient menées par chacune des organisations. Il est temps d’agrandir le cercle et d’agir collectivement et publiquement pour un Internet ouvert dans un cadre multi-acteurs et distribué.
La recherche d’un cadre acceptable et accepté par le plus grand nombre permettant de trouver des solutions aux problèmes posés à l’Internet aujourd’hui doit être l’objectif de la réunion qui aura lieu au Brésil. Les discussions devront aborder les questions d’institutionnalisation du/des cadre(s) possible(s) et qui fonctionnent effectivement et efficacement, les processus de décision (allant du vote au consensus)…
La proposition de solutions (blue print) devra être faite avant le 1er mars 2014. Une commission indépendante de haut niveau pourrait être mise en place par la « coalition » pour préparer un projet ou/et revoir l’ensemble des propositions.
Beaucoup de ces sujets sont en discussion dans le cadre de la création de la « coalition » et seront le cœur de la réunion au Brésil.
La communauté internet française aura sont mot à dire, et l’Afnic a, de mon point de vue, un rôle important à jouer dans l’organisation des débats français sur l’évolution de la gouvernance mondiale de l’Internet. Un forum français de la gouvernance de l’Internet est sur le point de voir le jour, qui pourra lui aussi s’emparer de ces questions.
A Bali, j’ai vu que les positions, des uns et des autres, concernant la gouvernance de l’Internet bougeaient très vite, après un période de quasi « guerre froide » qui remonte au dernier sommet mondial des Nations-Unies sur la société de l’information. La conjonction de l’actualité et du calendrier international (Plénipotentiaire de l’Union Internationale des Télécommunication, discussions aux Nations-Unies sur l’organisation d’un nouveau Sommet Mondial …) rend urgente une réflexion approfondie et la construction d’un consensus le plus large possible sur la mise en place d’une nouvelle gouvernance de l’Internet, inclusive et ouverte à toutes les parties prenantes. Si nous n’arrivons pas à construire ce consensus, nous laisserons la place à l’affrontement stérile des états, à la puissance des lobbys privés, aux calculs bureaucratiques des organisations internationales. Si nous ne nous engageons pas résolument dès maintenant dans les discussions sur l’avenir de l’Internet, nous laisserons d’autres décider pour nous. Les utilisateurs et les acteurs français de l’Internet méritent mieux. Au travail !
[1] Ici nous n’aborderons pas la question du rôle du Département du Commerce Américain dans le cadre de la gestion de la racine d’Internet qui mériterait un article à lui seul.
[2] http://www.icann.org/en/news/announcements/announcement-07oct13-en.htm
[4] Le WCIT, organisé par l’Union Internationale des Télécommunications (UIT) devait adopter le traité des télécommunications internationales, et a donné lieu à un affrontement entre coalition de pays menés par les US, d’un côté, et la majorité des pays émergents et en voie de développement, de l’autre. Voir à ce propos la position de l’Afnic à l’époque