La finalité de la « gouvernance » demeure mal comprise des acteurs de la gouvernance Internet.
La 52eme réunion de l’Icann qui s’est déroulée à Singapour du 9 au 12 février était placée sous le signe de la transition, annoncée par le gouvernement américain il y a presqu’un an. Concrétisée par la suppression du contrat liant le Département du Commerce avec l’Icann, cette transition a de nombreuses conséquences pour cette dernière ainsi que pour l’ensemble des acteurs des noms de domaine, des adresses IP et des standards Internet.
L’existence même de ce contrat exerce en effet une influence forte sur l’Icann, une forme de dernier recours, certains utilisent même l’expression de « bâton ». La question s’est donc vite posée de savoir si, en l’absence de ce contrat, l’Icann disposerait des équilibres de pouvoirs nécessaires à une gestion équilibrée et responsable de ses missions de coordination des identifiants uniques de l’Internet.
C’est donc bien de la gouvernance de l’organisation Icann qu’il a très vite été question. Ce qui a abouti en décembre 2014 à la création d’un groupe de réflexion sur la « redevabilite » (accountability), transversal dans l’Icann, dont je suis, parmi les trois co-présidents, celui qui représente les gestionnaires de codes pays (ccTLD).
Singapour était la première réunion Icann où nous présentions nos travaux. Je laisserai les communiqués officiels décrire ceux-ci (intenses, passionnants et souvent passionnés) mais je m’attarderai ici sur ce qui m’a frappé lors de ces présentations : dans le monde de la gouvernance de l’Internet, la finalité de la gouvernance demeure largement incomprise.
Membres du groupe de travail, acteurs de diverses communautés, membres du conseil d’administration même, beaucoup posaient, en séance ou dans les couloirs, les mêmes questions : au fond, pourquoi faudrait-il « équilibrer » les pouvoirs ? Rendre des comptes, n’est-ce pas entraîner l’Icann vers la paralysie ? Avez-vous donc des choses à reprocher aux membres du conseil actuel de l’Icann pour envisager de mettre en place des dispositifs d’appel indépendants ou donner certains pouvoirs de veto à la communauté ?
À de nombreuses reprises, nous avons été amenés à rappeler qu’il s’agissait de principes largement établis de bonne gouvernance : l’équilibre et la séparation des pouvoirs, la gestion proactive des risques (même si leur probabilité apparaît faible) et, effectivement, parfois, la mise en place de mesures corrigeant des dysfonctionnements constatés.
Mais je dois reconnaître que ces réponses, techniques, manquent de pouvoir fédérateur. Elles répondent à la question de ce qu’il faut faire plus qu’à la question de la finalité. J’aurai recours pour être plus explicite à une analogie qui m’a été proposée à Singapour dans un autre contexte : celle du contrat de mariage.
La mise en retrait du gouvernement américain fait entrer la relation entre l’Icann et son environnement dans une nouvelle phase. Avant, la communauté pouvait toujours aller se plaindre au « parent » américain, qui ne se privait pas de recadrer l’adolescente turbulente. La relation d’adulte à adulte entre l’Icann, sa communauté, et l’ensemble des acteurs sur lesquels les décisions de l’Icann ont des conséquences, doit-elle être encadrée ? Si on l’encadre, est-ce un signe de défiance ?
Comme dans un contrat de mariage, passé entre deux adultes partageant des valeurs, des envies et bien sûr un souhait de s’engager dans la durée autour d’un projet commun, les dispositifs de gouvernance et de redevabilité sont là pour établir les conditions d’une confiance durable.
Ils clarifient les principes du projet commun, les modalités de résolution des disputes, et les rôles de chacun. C’est donc bien avant la conclusion du pacte commun qu’il faut clarifier ces dispositions. Et c’est bien dans l’intérêt de chacune des parties de le conclure. Comme le contrat de mariage n’exclue pas (et c’est heureux) l’amour, l’établissement de bonnes règles de gouvernance n’exclue pas la confiance et la reconnaissance mutuelle.
C’est dans cet esprit de construction commune de l’avenir de l’Icann que le travail sur la gouvernance de l’Icann est conduit, et il est très encourageant de constater qu’au cours de la semaine, cette compréhension s’est développée. L’accueil par le conseil d’administration de l’Icann des propositions qui, pour une part importante, consiste à assurer un meilleur encadrement de certaines décisions, a été notamment très encourageant.
Il reste énormément à faire, le diable sera certainement dans les détails, mais les bases d’une discussion saine sont désormais posées.