Tout le monde peut-il vendre de la Porcelaine de Limoges, du Linge Basque ou du Granit de Bretagne ? La qualité des produits de nos territoires est souvent associée à un savoir-faire, à des sites de production. Les mettre en valeur est essentiel dans leur démarche commerciale en France et à l’international. Et cela permet de les distinguer sur des marchés à la concurrence à bas prix mais aussi face aux imitations plus ou moins réussies. Comment assurer cette protection en ligne ? Car ces indications géographiques protégées peuvent également l’être sur internet.
Leurs noms de domaine en .fr posent des défis juridiques qu’il est désormais possible de relever. L’Afnic a déjà eu l’occasion d’aborder cette question, en mettant en lumière la reconnaissance de la protection d’une appellation d’origine contrôlée (AOC)* (selon l’article L45-2 du Code des Postes et de Communication Electroniques (CPCE). Aujourd’hui, la procédure alternative de résolution des litiges, SYRELI, interroge la transposition de ce raisonnement à une Indication Géographique Protégée pour les produits industriels et artisanaux.
Le 16 octobre 2023, l’Association pour l’Indication Géographique « Porcelaine de Limoges » (le requérant) a déposé une demande SYRELI de transmission à son profit pour le nom de domaine <porcelainefrancaisedelimoges.fr>.
Le nom de domaine litigieux a été enregistré le 24 février 2017 par une personne physique, soit trois mois avant le dépôt par le requérant d’une demande d’homologation de l’Indication Géographique Protégée pour les produits industriels et artisanaux (IGPIA) « Porcelaine de Limoges » à l’INPI.
Le collège SYRELI s’est donc interrogé sur la possibilité d’invoquer les droits d’une IGPIA en vertu des dispositions du CPCE à l’encontre d’un nom de domaine enregistré antérieurement à la date de la reconnaissance officielle de cette IGPIA par l’INPI.
Zoom sur l’IGP
Pour prétendre à l’obtention d’une IGP, une étape (au moins) parmi la production, la transformation ou l’élaboration d’un produit doit avoir lieu dans une aire géographique délimitée.
Ce signe européen peut aussi être basé sur la réputation d’un produit et sa forte reconnaissance par le public. Celle-ci doit être associée à un savoir-faire ou une qualité déterminée attribuables à l’origine géographique.
L’évolution du cadre réglementaire
Dans le contexte de cette affaire, il est essentiel de revenir sur le concept d’Indication Géographique Protégée pour les produits industriels et artisanaux (IGPIA). Introduit dans le droit français par la loi Hamon du 17 mars 2014, ce nouveau cadre juridique étend le régime des indications géographiques à des produits industriels et artisanaux variés, allant au-delà des vins, des produits agroalimentaires et des spiritueux jusqu’à la reconnaissance du linge basque ou encore des poteries d’Alsace.
Selon les rapports publiés par l’INPI, une quinzaine d’IGPIA ont été homologuées depuis 2016, démontrant ainsi la lente émergence de ce droit au sein de la sphère juridique (https://base-indications-geographiques.inpi.fr/fr/toutes-les-ig).
Par ailleurs, le 27 octobre 2023 l’Union Européenne a adopté le Règlement 2023/2411 relatif à la protection des IGPIA dans lequel les Registres de premier niveau nationaux, comme le .fr, sont invités à reconnaître les IGPIA comme un droit invocable dans le cadre de toute procédure de règlement extrajudiciaire des litiges relative aux noms de domaine.
La reconnaissance des droits d’une IGPIA par SYRELI
Dans le cadre du litige portant sur le nom de domaine <porcelainefrancaisedelimoges.fr>, le collège SYRELI a tout d’abord reconnu l’intérêt à agir du requérant, l’Association pour l’Indication Géographique « Porcelaine de Limoges », entité immatriculée au Répertoire national des associations (RNA) depuis le 3 juin 2014 et responsable de la défense ainsi que de la gestion de l’IGPIA « Porcelaine de Limoges » depuis le 14 novembre 2017.
Ensuite, en se fondant sur l’article 721-2 du Code de la Propriété Intellectuelle,
Le collège SYRELI a aligné son raisonnement sur la jurisprudence judiciaire et ses décisions antérieures, pour établir que l’IGPIA pouvait jouir d’une protection contre les atteintes dès lors que le Requérant démontrait :
- Des droits de défense et de gestion de l’IGPIA,
- La similarité entre les signes (nom de domaine et IGPIA),
- Un usage privatif par le Titulaire du nom de domaine, privant les ayants droit de l’IGPIA de toute utilisation légitime et/ou une utilisation susceptible de détourner ou d’affaiblir la notoriété de l’IGPIA.
En l’espèce, le collège SYRELI a considéré que les deux premières conditions étaient parfaitement remplies puisque :
- D’une part, la décision du 14 novembre 2017 rendue par le Directeur Général de l’INPI reconnaît que l’Association pour l’Indication Géographique « Porcelaine de Limoges » est l’entité chargée de la défense et de la gestion de l’indication géographique INPI 17-02 « Porcelaine de Limoges » ;
- D’autre part, le nom de domaine <porcelainefrancaisedelimoges.fr> est similaire à l’indication géographique protégée « Porcelaine de Limoges », en raison de sa composition avec les termes « porcelaine » et « de Limoges », associés au terme géographique « française » indiquant le territoire sur lequel le requérant exerce son activité.
En ce qui concerne l’usage par le titulaire du nom de domaine litigieux, le requérant a présenté une abondance de pièces étayant la préexistence de la notoriété de l’IGPIA « Porcelaine de Limoges », bien avant l’enregistrement du nom de domaine <porcelainefrancaisedelimoges.fr>.
Il avance que la protection de la « Porcelaine de Limoges » en tant qu’IGPIA découle d’un processus de reconnaissance initié dès le projet de loi du 1er juin 2011 renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs. Cette démarche a été consolidée par des événements clés, dont la création de l’Association pour l’Indication Géographique « Porcelaine de Limoges » le 3 juin 2014 ainsi que par de nombreuses annonces médiatiques s’étalant sur plusieurs années.
Par ailleurs, l’enregistrement du nom de domaine par le Titulaire le 24 février 2017, soit trois mois avant la demande d’homologation de l’IGPIA, soulève des interrogations quant à la sincérité de sa démarche, compte tenu de la proximité temporelle entre ces deux événements.
Au-delà de la démonstration de la notoriété antérieure, le Requérant a prouvé que l’usage du nom de domaine détournait et affaiblissait la notoriété de son IGPIA.
Cette décision confirme la compétence de SYRELI dans la gestion des litiges impliquant l’enregistrement et l’utilisation abusifs de noms de domaine reprenant des indications géographiques. Après la reconnaissance des droits d’une AOC en 2017 sur le nom de domaine muscadet.fr, SYRELI démontre dans cette nouvelle décision que les droits d’une IGPIA peuvent également être invoqués en vertu des dispositions légales, et permet ainsi à l’association pour l’Indication Géographique Porcelaine de Limoges de démontrer la notoriété et la valeur de son IGPIA.