Le cybersquattage est une pratique consistant à enregistrer un nom de domaine correspondant à une marque ou au nom d’une société dans l’optique de le lui revendre, de profiter de sa notoriété ou encore de lui nuire.
Si certains cas d’espèce font ressortir inévitablement l’absence d’intérêt légitime et/ou la mauvaise foi d’un titulaire, d’autres en revanche nécessitent une vraie mise en balance des intérêts des parties ; d’autant plus lorsque le titulaire présente au Collège SYRELI une réponse quelque peu inédite…
C’est notamment le cas d’un dossier traité par le Collège en septembre 2021, qui posait la question suivante : face à la marque notoire d’un requérant, comment peut-on accueillir la réponse d’un titulaire invoquant le nom de son animal de compagnie pour contester la demande ?
L’opposition entre un ayant droit, géant mondial de l’optique et le propriétaire d’un chien
Dans ce dossier, le requérant est la société italienne LUXOTTICA GROUP S.P.A, leader mondial dans la fabrication et la distribution de montures de lunettes exploitant la marque « RAY-BAN ». Elle demande la transmission à son profit du nom de domaine <rayban.fr>, enregistré le 21 octobre 2011 et jusqu’ici détenu par une personne physique non connue par la société.
En demande, la société invoque une atteinte à ses droits de propriété intellectuelle, à savoir ses marques « RAY-BAN ». En réponse, le titulaire du nom de domaine contesté affirme l’avoir enregistré dans le but de créer un blog dédié à son chien surnommé « Rayban ».
Sans grande surprise, le Collège SYRELI reconnait que la société italienne dispose bien d’un intérêt à agir puisque le nom de domaine est quasiment identique aux marques du requérant.
La bonne foi et l’intérêt légitime du titulaire questionnés face à la renommée établie du Requérant
En s’appuyant sur les preuves fournies par les parties, le Collège rappelle la notoriété mondiale de la marque « RAY-BAN » alors détenue par le requérant depuis 1999, compte tenu de l’ampleur de la commercialisation et de la publicité des produits désignés sous ce terme. Il relève également le fait que le nom de domaine litigieux reprend intégralement le terme « RAY-BAN » sur lequel la société détient des droits de propriété intellectuelle antérieurs.
Au-delà de la composition même du nom de domaine, quid de son exploitation effective par le titulaire ?
Dans un premier temps, le Collège relève que le certificat de race du chien présenté par le titulaire dans sa réponse ne fait aucunement référence au nom « Rayban ».
À cela s’ajoute une attestation sur l’honneur d’un parent du titulaire, qui indique que ce dernier a bien été le propriétaire d’un chien aujourd’hui décédé, officiellement baptisé « London de la V. » à sa naissance par l’éleveur mais surnommé « Rayban » par toute la famille durant toute sa vie.
Le titulaire fournit également une photo de son chien en sa compagnie ainsi qu’un extrait de journal de presse faisant référence à un concours canin, sans qu’il soit possible d’identifier dans cet extrait un chien appartenant au titulaire et répondant au nom de « Rayban ».
Le Collège SYRELI constate par ailleurs que le nom de domaine <rayban.fr> renvoie, depuis sa date de création, vers une page présentant une photo de chiot accompagnée du texte suivant : « Bienvenue sur le blog que j’ai décidé de créer pour mon chien Rayban ! Pour toute demande, vous pouvez le contacter à l’adresse suivante : [anonymisation]@rayban.fr Wouaf wouaf ! ». Aucun blog ne semble avoir été créé à partir de cette page web. Pourtant, dans son argumentation, le titulaire déclare et réitère ses intentions de créer un blog.
Enfin, le Collège relève que le Titulaire refuse depuis 10 ans toutes les offres de prix exprimées par le requérant, tout en l’invitant à surenchérir.
In fine, aucune pièce ne permet d’établir de façon certaine que le site vers lequel renvoie le nom de domaine est bien consacré à l’animal de compagnie du titulaire, et que le surnom de cet animal est bel et bien « Rayban ».
Pour toutes ces raisons, le Collège a considéré que « le titulaire ne pouvait ignorer l’existence et les droits du requérant » et qu’il « avait enregistré le nom de domaine principalement en vue de le vendre de quelque manière que ce soit au titulaire d’un nom identique sur lequel un droit est reconnu et non pour l’exploiter effectivement »[1].
Une décision qui s’inscrit dans la tendance de décisions antérieures du Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI
Le principe constaté à ce jour semble être le suivant : les titulaires des noms de domaine ne peuvent pas utiliser les noms de leurs animaux de compagnie pour justifier l’enregistrement de ces derniers, lorsqu’ils sont similaires ou identiques à la marque d’un ayant-droit.
Pour expliquer ce principe, l’OMPI a déjà rappelé dans des cas analogues[2] quelques évidences :
- Aussi simple que cela puisse paraître, les animaux de compagnie ne sont pas les protagonistes d’une procédure de résolution de litige.
- Il paraît difficile d’établir la preuve de la date à laquelle le nom de l’animal a été choisi.
- Accueillir favorablement ce type d’argumentation en défense conduirait à autoriser l’enregistrement de noms de domaine identiques ou similaires à des marques célèbres, seulement parce que les titulaires ont ou avaient des animaux de compagnie portant le même nom que la marque.
En conclusion, rien ne s’oppose à ce qu’un titulaire enregistre un nom de domaine en l’honneur de son animal de compagnie si ce nom est personnel, créatif, original… et qu’il ne contrevient pas aux droits des tiers !
[1] Décision n°FR-2021-02484
[2] Par exemple : YUM! Brands Inc. and KFC Corporation v. X., NAF Claim Number 212651 ou X. v. Y. – Case No. D2016-2496